par Didier Thomas-Radux – Responsable éditorial – Le 3 avril 2023
Communication touristique : comment les villes se rendent-elles attractives auprès des touristes pour exister ?
Avec un potentiel de près de 6 millions de lits touristiques, dont environ 2,5 millions de lits en résidences secondaires*, la région Occitanie est dans le Top 5 hexagonal pour la fréquentation touristique marchande et se classe au 4ème rang des régions les plus fréquentées par les touristes étrangers.
Mais la concurrence est rude dans l’Hexagone entre régions, départements, métropoles et collectivités pour convaincre opérateurs et touristes, dans un marché global et mondialisé bouleversé par la crise sanitaire de la Covid. Disposer d’une plage, de montagnes, de monuments historiques, d’un plan d’eau ou de pistes de ski ne suffit plus. Pour tirer leur épingle du jeu, les villes et métropoles veulent se démarquer en travaillant leur offre de communication afin de proposer une expérience touristique différente, voire unique.

1. Identifier ses points forts :
Les villes touristiques se démarquent généralement en mettant en avant leurs atouts uniques tels que leur histoire, leur culture, leur architecture, leur gastronomie, leurs activités de plein air, leurs événements spéciaux, etc.
Mais il ne suffit pas de mettre des moyens financiers pour garantir la réussite. La construction d’une identité touristique n’est d’ailleurs pas une chose tout à fait nouvelle puisqu’en France le premier Syndicat d’Initiative a vu le jour en 1889, à Grenoble.
« Le passé est un prologue », disait justement William Shakespeare. La mise en avant de son patrimoine est un élément important de valorisation d’une collectivité. Une ville historique – labellisée ou non – Ville d’Art et d’Histoire – peut mettre en avant ses monuments et bâtiments historiques. La rénovation du bâti est une première étape, avant de savoir recréer de la symbolique autour. Car un bâtiment, aussi beau soit-il, totalement vide, ne parle pas suffisamment. Il faut créer du sens, avec des visites guidées, l’utilisation éventuelle de la réalité virtuelle, etc. Des escape games à l’IA, les outils sont aujourd’hui nombreux. Mais ils doivent servir un propos pour reconstruire une histoire et un dialogue avec elle. Ce qu’ont su faire des villes comme Bourges, Beaune, Le Havre, Sarlat.
Une ville ou une commune sans histoire peut devenir un lieu attractif. À côté de Dubaï et de Shanghai, villes monstres construites ex nihilo, il existe heureusement des alternatives. De nombreuses communes françaises disposent parfois sans le savoir, d’un terreau fertile pour créer une attractivité à partir de leur propre histoire. Il faut la connaître, et la jauger à l’aune de sa valeur et de son authenticité. Le succès du musée Soulages à Rodez est dû à la qualité de l’équipement, mais aussi au lien incontestable du peintre de l’Outrenoir avec sa ville natale, même si celui-ci s’est resserré à la fin de sa vie.
Aux côtés de la muséographie souvent liée à un geste architectural pour le bâtiment et qui nécessite beaucoup de moyens, d’autres axes de valorisation des ressources permettent à des territoires d’exister :
- la mise en avant (et l’encadrement) d’espaces naturels,
- le développement d’une image gastronomique pour peu qu’elle s’appuie sur une réalité du territoire (cf le banquet de 2200 couverts lors de Lot of Saveurs à Cahors),
- la création d’une offre culturelle forte autour d’un festival (musique, théâtre),
- la mise en avant de traditions culturelles fortes (feria, bouvine, rampeau, etc).
Pour peu d’être cohérent, sincère avec le territoire, et différenciant.
Qui aurait voilà 40 ans, pu penser qu’un musée des insectes comme Micropolis puisse attirer du monde dans une commune de l’Aveyron de 400 habitants ?
Des villes jumelées à l’inscription parmi les Villes et villages fleuris de France, le besoin de se distinguer de façon originale n’est pas une chose nouvelle.
Sur le fond, certaines communes se sont adaptées aux nouveaux comportements et besoins des touristes. C’est le cas de ces stations de ski des Pyrénées qui, à côté des classiques activités de ski, proposent des animations comme la plongée en lac gelé, la construction d’un igloo, le raid en chiens de traîneau, la balade en dameuse à l’aube, etc. Développer dans des régions viticoles les activités d’oenotourisme originales (balades en VTT ou trottinettes électriques, assemblage de vin, vendanges, etc.). En bord de mer des activités écoresponsables, etc.
Sur la forme, les nouveaux outils de communication ont changé la donne depuis déjà 20 ans. Le marketing territorial est aujourd’hui devenu un élément non négligeable. S’inspirant du ‘I Love New York’ et ‘I Amsterdam’ lancés dans les années 70, le Grand Lyon avait créé voilà plus de 15 ans en jouant sur un anagramme, le concept d’Only Lyon pour promouvoir l’agglomération lyonnaise à l’international avec une sculpture totémique prise des millions de fois en photo. De nombreuses communes et stations balnéaires se sont inspirées de l’exemple de Lyon et le phénomène s’est amplifié avec Instagram. Avoir un lieu instagrammable est aujourd’hui un plus et les communes n’hésitent pas à guider les touristes vers ces spots devenus quasi incontournables. Pour autant que l’on puisse les sensibiliser à une histoire et une culture, pas seulement une photo. C’est le but de tout ce travail.
2. Construire une communication structurée :
Tous ces éléments permettent de créer du sens, de valoriser le patrimoine et l’histoire d’une commune. Ce qui rend fiers les habitants et renforce leur sentiment d’appartenance, et permet de donner une image cohérente dans la communication touristique.
Quelques clés sont aujourd’hui incontournables :
Développer et entretenir les rapports avec les médias : une relation suivie et constructive avec les médias est importante afin de pouvoir donner de la résonance aux conférences de presse annonçant de nouveaux projets ou événements, présenter des résultats, etc. C’est un relais traditionnel toujours stratégique.
Campagnes publicitaires : elles permettent de promouvoir des activités dans les médias locaux et régionaux ainsi que dans les magazines de voyage et ont un grand intérêt dans leur capacité de référencement à long terme sur le digital, et leur image de fiabilité qui en font des outils prescripteurs de premier plan.
Réseaux sociaux : utiliser les réseaux sociaux pour promouvoir les atouts de la ville côtière comme les plages, les restaurants, les activités de plein air, les événements culturels, etc.
Créer des programmes de fidélisation pour inciter les visiteurs à revenir ou consommer certaines prestations et certains services.
Création d’un site dédié : Créer un site web dédié permet de présenter les différentes activités, les informations pratiques, les hébergements, etc. La condition : une actualisation permanente, souvent sous-traitée à des professionnels.
En résumé, les stratégies de communication des villes et communes touristiques nécessitent d’élaborer un concept construit et cohérent afin de le rendre lisible par les touristes. Mais aujourd’hui, au vu des évolutions technologiques rapides et des nouveaux comportements des usagers, ces stratégies doivent être multi-canal. Lisibilité du projet, campagnes publicitaires ciblées, création de contenus de qualité pour les réseaux sociaux, bonnes relations avec les médias, collaborations avec les influenceurs sont autant de stratégies qui souvent se conjuguent pour attirer les touristes, cibler ceux qui peuvent être en phase avec le projet, augmenter le panier moyen de dépenses. Et ainsi contribuer avec une grande lisibilité, au développement économique de la ville.
Confrontation de quelques exemples et de stratégies entre Lunel (Hérault), Rodez (Aveyron) et La Grande-Motte (Hérault).
3. Trois cas pratiques en Occitanie :
Lunel : restaurer la confiance
Lunel est restée longtemps traumatisée par les événements qui l’avaient mise à la Une des faits divers voilà près de dix ans. À tel point que la commune avait renoncé à tout plan média.
- Une communication en rupture, qui s’appuie sur un vrai travail de fond :
« En 2020 à l’issue des élections municipales, nous nous sommes attelés avec le maire nouvellement élu à travailler cette image. Nous avons lancé le concept de ‘Lunel Ose ‘, qui se voulait à la fois un état d’esprit de renouveau, mais aussi un concept de communication externe qui servait notre projet ‘MétamorphOse’ de reconquête du centre-ville », explique Anthony Belin, directeur de cabinet du maire de Lunel et à l’origine de cette communication disruptive. Le tout en jouant sur une communication provocatrice avec notamment un programme de réhabilitation immobilière baptisé ‘Rouvrons les maisons closes’ ayant entraîné de fortes retombées presse.
L’affirmation d’un message fort a permis de redonner confiance aux administrés, mais aussi de convaincre les partenaires institutionnels : services de l’État, collectivités, promoteurs immobiliers, etc. de réinvestir dans la ville. « Une fois ce travail de fond engagé avec le lancement d’un ambitieux programme, nous avons développé une politique culturelle audacieuse », confie Anthony Belin. Lunel s’est positionné comme lieu de culture et a financé durant le confinement des captations de concerts electro dans des lieux emblématiques (arènes, étang, pont romain) partagées sur YouTube. Puis lancé des expositions hors les murs pour affirmer l’image de ville de cultures et engagé une programmation culturelle dans les arènes, situées en cœur de ville. Ce travail de réhabilitation, avec de grands chantiers structurants, a permis une réappropriation de la ville par ses habitants. La réalisation en juin 2022 avec L’Agence d’un supplément de 8 pages distribué avec Midi-Libre a marqué l’aboutissement de ce travail lancé depuis l’élection de la nouvelle équipe municipale.

Visuels – L’Agence
- Dernière phase : faire oser Lunel aux touristes
La dernière brique de la stratégie est une redéfinition de la communication touristique, qui doit tirer profit du travail d’image. « Il s’agit désormais de montrer qu’on est bien à Lunel et dans nos visuels nous montrons des gens souriants. Le message est : vous pouvez venir dans cette ville à 1/4h de la mer et de la garrigue, entre Nîmes et Montpellier », explique le directeur de cabinet. Le ‘Lunel’Ose’ mis en avant depuis 2020 devient ainsi en direction des touristes potentiels ‘Osez Lunel’.
Rodez : l’art moderne devenu l’étendard d’un renouveau.
Bien que chef-lieu de préfecture de l’Aveyron, Rodez est restée une ville loin des grands axes routiers, assez rurale avec ses 24.000 habitants. L’idée de la création d’un musée consacré au peintre Pierre Soulages, originaire de la ville, revient à Marc Censi, maire de Rodez de 1983 à 2008. Le principe d’utiliser l’institution muséale dans le cadre d’un programme de régénération urbaine n’est pas nouveau **, mais le cas de Rodez témoigne d’une réussite exemplaire.
- D’un projet controversé …
En 2005, Pierre Soulages accepte une importante donation à la ville de Rodez. Le projet d’un musée est alors lancé au niveau de l’intercommunalité, même si les Ruthénois sont plus que sceptiques. En 2009, la nouvelle municipalité vote un budget de plus de 20M€. Un sondage du quotidien Centre Presse Aveyron révèle alors que 85% des sondés sont opposés au projet, lui préférant des investissements dans des piscines ou des patinoires… Ouvert en 2014, le musée, avec son audace architecturale, mettra un peu de temps à convaincre les habitants. La fréquentation spectaculaire (plus de 86.000 visiteurs en 2021 malgré le Covid) finira de convaincre. « On a construit le musée dans la difficulté. Il a fallu cinq ou six ans pour que l’avis des gens évolue » expliquait à Libération le maire Christian Teyssèdre***.
- À une renaissance inattendue.
9 ans après son ouverture, le musée Soulages est synonyme de renaissance pour la capitale aveyronnaise, devenue une destination touristique, ce qu’elle n’avait jamais été. À l’instar de Bilbao et de son Musée Guggenheim****, qui a profondément changé le destin d’une ville industrielle en déclin, le Musée Soulages avec ses 2.000 visiteurs par jour en été, a réinventé la ville. Qui a réussi à conserver son tourisme vert, et à générer un tourisme culturel au profil urbain (Paris, Lyon, Toulouse, Montpellier, Bordeaux) développant ainsi des offres de City Trip.

Photo : Midi-Libre.
Décidée par le pouvoir central dans les années 60 dans le cadre de la Mission Racine ayant aménagé le littoral languedocien jusque-là constitué de marécages, la station balnéaire de La Grande-Motte a vécu en 50 ans plusieurs périodes avant d’arriver à une certaine maturité.
- De La Grande Moche à La Grande Mode
« L’histoire de La Grande-Motte est atypique, car elle a vécu trois vies en à peine 50 ans », explique Jérôme Arnaud, le directeur de station. Voulue par l’État, elle est le témoignage d’une brutalité de l’aménagement urbain réalisé de façon verticale. Mais d’abord incompris, au point que dans les années 80-90 on parlait de La Grande Moche, le projet de Jean Balladur apparaît aujourd’hui visionnaire avec ses 70% d’espaces végétaux, ce principe de déplacement sans voitures. Longtemps la station a ainsi caché ce qui pourtant faisait son ADN dans sa communication. « Pendant 40 ans, on montrait des bateaux et des gens en train de se baigner, jamais les pyramides », explique Jérôme Arnaud. Restant sur une communication classique (la mer, les vacances) sans affronter son image de tourisme de masse avec ses capacités de 100.000 lits, La Grande-Motte n’a à l’époque, pas su exploiter ses atouts. Ses pistes cyclables n’ont pas été mises en avant, au contraire de La Rochelle qui en a fait très tôt un argument de communication. C’est à partir de 2008 que la ville a osé montrer les pyramides et mettre en avant l’aspect ville-jardin. À l’époque, un sondage avait montré que si la station avait une notoriété de 94%, 39% des sondés en avaient une image négative !
- Thématiser sur l’harmonie
« Ce qui est exemplaire à La Grande-Motte, c’est son urbanisme avec sa trame verte, ses pistes cyclables et ses mobilités douces. On n’est jamais à plus de 8 minutes à pied de la mer. C’est son héritage et le défi est de le préserver », explique le directeur de station. Aujourd’hui la thématique est l’harmonie dans une ville où on se sent bien en proposant tant un voyage extérieur avec le plaisir d’être là, qu’un voyage intérieur grâce à ce qu’apporte cette harmonie de vie. À partir de 2008, La Grande-Motte a commencé à centrer sa communication sur des ambassadeurs avec des photographes, des designers qui ont créé du mobilier, un vélo, des parasols, une rose, etc.
- Renforcer une identité en pérennisant la ville
Pour que La Grande-Motte, classée Patrimoine du XXe siècle, puisse continuer de bénéficier de cette nouvelle image avec ce design vintage 70’s revenu à la mode, la communication est centrée sur l’ancrage de ces valeurs patiemment construites : l’audace, la créativité et l’idée qu’on peut concrétiser certaines utopies. Pour faire de La Grande-Motte non pas une destination, mais une expérience culturelle. La commune a lancé des travaux de rénovation du port dont les voitures ont disparu et incite les propriétaires loueurs à rénover leurs appartements selon des critères identitaires forts. « Nous venons de lancer un programme expérimental de rénovation des meublés dans certains immeubles : nous aidons les propriétaires à aménager et décorer les appartements en lien avec l’identité architecturale de la ville », confie Jérôme Arnaud.

Photo : Midi-Libre.
*Chiffres du CRTL Occitanie, ‘Bilan provisoire de fréquentation 2022’ – Observatoire Pôle 3D, 17 janv. 2023
** ‘Les musées, un outil efficace de régénération urbaine ? Les exemples de Mons (Belgique), Essen (Allemagne) et Manchester (Royaume-Uni)’, Bruno Lusso, 2009 – https://journals.openedition.org/cybergeo/21253
*** ‘Soulages sort Rodez de l’ombre’, Libération 18.8.2019
**** ’Comment le musée le Guggenheim a transformé Bilbao’, Le Figaro 15.10.2007